Le mouvement migratoire de la musique et les bandolas du Venezuela, une histoire de passeurs

Thèse de doctorat – Sorbonne-Université

Sous la direction de Frédéric Billiet
Avant-propos

Ce travail examine les effets et situations engendrés par la causalité de la musique. Cette notion est définie comme le rapport entre une cause et l’effet qu’elle produit. Cette relation s’applique particulièrement à la musique, qui se diffuse pour diverses raisons identifiables comme des causes, et génère des retombées et répercussions, c’est-à-dire les effets. Une fois ce principe établi, il est nécessaire de définir un cadre culturel et chronologique précis. À cet égard, l’instrument connu sous le nom de bandola au Venezuela apporte une direction à cette réflexion.

Pour atteindre cet objectif, il est essentiel d’observer et d’interpréter les processus historiques et culturels ayant conduit à l’évolution de cet instrument. Cependant, la spécificité de ce travail réside dans une approche rétroactive de ce processus historique. En d’autres termes, cette réflexion repose sur une approche rétrospective, remontant du présent vers le passé. Cette méthodologie s’inspire d’une réponse du philosophe anglais Bertrand Russell, lorsqu’il fut interrogé sur son athéisme. Sa réponse été qu’en tant que mathématicien, il préfère aborder la question en l’analysant à partir de la conclusion[1].

À cet égard, l’étude des bandolas du Venezuela facilite un chemin de recherche riche.  Si l’on se penche sur la morphologie de l’instrument, pour ne citer qu’une piste de recherche, on remarquera qu’il évoque immédiatement les guitares introduites par l’Espagne durant la période coloniale. En examinant cette Espagne, marquée par 781 années sous influence musulmane[2], il est impératif de considérer l’apport culturel d’al-Andalus. Ce patrimoine, qui peut se qualifier comme multiculturel, en vue de la cohabitation musulmane, chrétienne et juive pendant ces presque huit siècles, a probablement voyagé dès le début de la colonisation vers ce qui a été nommé le « Nouveau Monde ». Il est important de signaler que l’année 1492 marque la fin d’al-Andalus ou de l’Espagne musulmane et en même temps la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb au nom de la couronne espagnole. Ces deux événements majeurs qui se produisent la même année attirent l’attention et soulèvent toute une panoplie des questions concernant les flux migratoires provoqués par une telle rupture culturelle. C’est ainsi que l’étude du potentiel culturel d’al-Andalus conduit ensuite cette observation vers le Maghreb, puis le Machrek. Si une curiosité approfondie est de mise, il conviendrait d’étendre cette analyse jusqu’à la Perse et l’Inde. Toutefois, dans le cadre de cette étude, nous nous limiterons à al-Andalus, tout en réalisant quelques incursions nécessaires au Maghreb. Par conséquent, à travers l’observation de ce processus historique et toujours s’interrogeant comment la migration et la musique ont servi comme vecteurs multiculturels, ce travail mettra en lumière entre autres, les traits culturels musulmans et juifs présents dans différents aspects de la culture vénézuélienne, les plus tangibles se trouvant dans la langue castillane et vernaculaire. Cette thèse proposera une perspective intégrant les approches anthropologique, ethnologique et sociologique d’une réalité culturelle vénézuélienne, jusque-là peu étudiée sous cet angle, en tenant compte des apport culturels musulmans et juifs.

Néanmoins, le plan de recherche structurant cette réflexion pourrait ne pas être strictement suivi en raison de l’abondance d’informations relatives à ces périodes historiques. Comme mentionné précédemment, cette approche rétrograde sert de base de réflexion plutôt que de fil conducteur.

Il est crucial de préciser que ce travail ne vise pas à se concentrer sur les bandolas du Venezuela d’un point de vue organologique et évolutif de l’instrument. Bien que l’organologie soit utilisée, l’objectif principal de cette thèse est d’étudier, d’interpréter et d’évaluer objectivement le fait musical entourant cet instrument, d’où le complément du titre : « une histoire des passeurs », soulevant ainsi la question de ce qui a été transmis, ses circonstances et ses effets.

Tenant en compte le besoin multidisciplinaire nécessaire à une telle recherche, ce travail s’aligne avec cette réflexion de Jean Molino : « comme bien d’autres faits sociaux, la musique semble, à mesure que nous nous éloignons dans l’espace et dans le temps, se charger d’éléments hétérogènes – et à nos yeux, non musicaux.»[3]. L’étude de la multiplicité de ses éléments hétérogènes, puis leur mise en perspective avec la musique, constituent le cœur de cette recherche. Ensuite, le même Molino nous invite à cette quête multidisciplinaire en affirmant que « La longue histoire des théories expressives de la musique ­­– la musique reflète ou provoque les passions fondamentales – et des théories imitatives – la musique peint la réalité – montre parfaitement comment le fait musical est partout, non seulement relié, mais étroitement mêlé à l’ensemble des faits humains »[4] Pour atteindre ces objectifs, différentes disciplines seront mobilisées : musicologie, ethnomusicologie, ethnologie, organologie, sociologie de la musique, anthropologie de la musique, ainsi que l’historiographie et l’histoire de la musique. J’espère que ce travail incitera à d’autres recherches approfondies sur les échanges culturels qui ont façonné les musiques des Amériques et qu’il contribuera à développer une compréhension approfondie des répercussions de ce que j’appelle le « mouvement migratoire de la musique ».


[1] B. Russell et G. Le Clec’h, Pourquoi je ne suis pas chrétien, Genève, Guildes associées, 1960.

[2] La présence arabo-musulmane dans la péninsule Ibérique est datée par l’historiographie entre 711, année de la bataille de Guadalete qui marque l’entrée en continent européen de l’armée musulmane commandée par Tariq Ibn Zyad et 1492, année de la chute de Grenade, dernier royaume musulman d’al-Andalus.

[3] J. Molino, J.-J. Nattiez et J. Goldman, Le singe musicien : essais de sémiologie et anthropologie de la musique, Arles, Actes Sud/INA, 2009, p.74.

[4] Id. p.75.


Julio D’Santiago

Julio D’Santiago est un musicien et musicologue d’origine vénézuélienne et suisse. Doctorant en musicologie à Sorbonne Université, il occupe le poste de coordinateur pédagogique aux Ateliers d’ethnomusicologie à Genève, où il mène divers projets de recherche sur les musiques traditionnelles et leur rôle au sein des sociétés. Alliant pratique musicale et exploration scientifique, il s’attache à observer et analyser l’univers des musiques traditionnelles. Engagé dans la transmission du savoir, il œuvre activement à la formation des futurs ethnomusicologues vénézuéliens.


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